Ceci est mon témoignage, ma vision de
notre accouchement à domicile.
Pour des raisons de confidentialité, les
prénoms ont été changés.
Dimanche 19 juin 2011.
Une petite main me gratte doucement le dos. Une
petite voix d'ange me glisse - "je crois que ça a commencé". Il est 2h, nous
sommes à l'aube de la fête des pères. Nous allons enfin voir la tête de notre
petite Romane.
Neuf mois que l'on attend ce moment. Presque huit
à préparer un accouchement à domicile.
Au départ j'étais assez réticent à cette idée :
s'il se passe n'importe quoi de grave ? Si ça tourne mal ?
Heureusement, notre voisin est pompier et le
médecin est à trois maisons d'ici. Et même si une naissance en hélico est
vraiment trop class, je pense qu'on pourrait se passer de ce genre
d'aventure.
Au fil des mois, mon petit coeur a su trouver les
mots et me faire adhérer à son projet de naissance à domicile. 95% des
accouchements se passent généralement bien et il est vrai que l'hôpital n'est
pas l'endroit rêvé pour une naissance : aspiration, froid, bruits, agitations.
Je fini par être convaincu, comme elle, qu'un accouchement à la maison sera
mieux pour tout le monde, au chaud, dans le cocon tranquille de notre
foyer.
Depuis plusieurs mois donc, on prépare cette
arrivée. Près de chez nous une sage-femme à domicile vient de cesser cette
activité. Force est de constater qu'elles ne sont pas très nombreuses à exercer
des accouchements extra-hospitalier. Heureusement, nous avons des RDV réguliers
avec Marie et Emilie, un cabinet de sage-femme à 1h30 environ de la maison.
La première rencontre avec Emilie nous met en
confiance. Sa voix douce, sereine, à l'écoute, nous avait conquis. Le surcout
financier de 700 euros s'expliquait par le fait que Marie avait souscrit une
assurance professionnelle relativement élevée, mais dont Emilie
bénéficiait.
Cette pratique d'accouchement, très majoritaire
dans les pays du nord de l'Europe, ne trouve pas beaucoup d'écho en France et
il semble compliqué de la mettre en place dans notre système de santé. Il est
tout aussi étonnant de voir combien on ferme de maternités sans favoriser de
système alternatif. Mais c'est un autre sujet...
Qui dit accouchement à domicile, dit aussi
solution de repli en cas de soucis. Emilie et Marie pourraient disposer d'un
plateau technique, mais à 2h de la maison. Pour nous c'est trop loin et
décidons de visiter la maternité de notre gynécologue. L’occasion faisant le
larron, nous en profitons pour rédiger un projet de naissance.
L'accueil ne fut pas enthousiaste. Même si la Loi
prévoit la rédaction d'un projet de naissance, dans les faits c'est beaucoup
moins évident et nombre de sage-femmes sont réticentes à l'idée même qu'on
puisse avoir un projet.
Quelque peu dépité par l'accueil à cette
maternité, nous décidons que nous nous rapprocherons de l'hôpital le plus
proche, et faisons les démarches à l'identique d'une prise en charge
hospitalière : Inscription, visite et information, RDV avec l'anesthésiste,
etc.
Parallèlement, nous avons la chance d'avoir en
bas de chez nous une sage-femme qui pratique l'haptonomie. Mais malheureusement
pas les accouchements à domicile ! Le contact est plutôt bon, même si j'ai
parfois le sentiment qu'elle me prend un peu pour un extra-terrestre. Nous
faisons les séances d'hapto ensemble et j'en ressors totalement bluffé : Romane
suit mes mains, se déplace en fonction de là où je les pose. Faut dire qu'elle
bouge à fond dans cet utérus cinq étoiles. Et puis, l'haptonomie aide bien à
soulager sa maman. Franchement, on est ravi et on attend le jour J.
Donc voilà, ça y est ! Le grand moment est enfin
arrivé ! C'est aujourd'hui et c'est la fête des pères.
La consigne de la sage-femme était : "- Tu nous
appelles dès que tu as des contractions toutes les cinq minutes et durant au
moins une heure trente."
A cinq heures, on était bon. A 6h10 on appelle
Emilie. Les sage-femmes se relayent tour à tour, et cette semaine
l'accouchement se fera avec Emilie.
Je descends acheter des croissants à la
boulangerie (bien meilleurs depuis le changement de proprio). A mon retour,
Emilie est arrivée. Nous prenons ensemble le petit-déjeuner au soleil sous la
pergola. Elle nous explique que finalement, nous l'avons appelé un peu trop
tôt, et que c'est juste le pré-travail qui vient de commencer. Ce pré-travail
peut durer des heures avant le début du "vrai" travail. Le monitoring indique
que le bébé va très bien, et que le col est légèrement dilaté à un centimètre.
Emilie a des amis tout près d'ici et décide de déjeuner avec eux, le temps que
ça avance de notre côté.
De retour à 15h, elle teste le col et il est à
presque deux centimètres. Les contractions sont supportables.
Nous sommes dans la chambre du bas, aménagée pour
l'accouchement. Mon petit coeur va bien, on est en confiance, on fusionne, on
va bientôt voir la tête de cet enfant. Nous bavardons avec Emilie entre deux
contractions, sur comment s'est passé la grossesse, ces douleurs aux reins
depuis plusieurs mois et sur ces démangeaisons qui sont survenues aux pieds et
aux seins il y a quelques jours.
Emilie s'interroge. Des démangeaisons aux seins
et aux pieds ? Ouuuulaaaaa ! Ca pourrait être un problème hépatique, une
cholestase. Ca pourrait être grave, pour la mère comme pour le bébé.
Nous la rassurons : ma petite chérie a traversé
toute sa grossesse avec tout plein d'envies. Là une orgie de cornichons, là
elle a dévalisé tous les haricots-vert chez Carrefour, et la semaine dernière
elle a mangé une boite de foie gras par jour. Sans parler des aller-retour de
saucisse au roquefort. Alors forcément, une semaine charcuterie pour une fondue
de légumes bio, ça fait un stress alimentaire.
On en est sûr, ma chérie va bien, le bébé va
bien, tout va bien. Et puis une cholestase, ça fout un peu la jaunisse. La
seule chose qui ai changé depuis 9 mois, c'est le poids. Le teint de ma petite
femme n'a jamais été aussi beau. Donc, on se calme tout va bien !
" - Non, je veux faire des analyses aujourd'hui
même. Il me faut les résultats aujourd'hui !
" - OK, c'est Dimanche aujourd'hui. Les labos
sont fermés. Comment peut-on faire ?
" - On l'emmène à l'Hôpital, ils feront les
exams."
Pour tout dire, une naissance à domicile qui
commence à l'hôpital, c'est pas vraiment ce qu'on voulait. Déjà, pourront-ils
faire ces analyses ? Emilie appelle la maternité, et la sage femme de garde lui
répond que les analyses (Transaminase, TGO, TGP) doivent être complétées par
des analyses de sels biliaires, et que si on vient pour effectuer ce type
d'analyses, ils vont automatiquement hospitaliser. On raccroche, on laisse
tomber l'hôpital.
Argggg !! Ca part en sucette. Tout allait bien,
on était dans notre cocon, tout se déroulait à merveille et à son rythme.
Voilà qu'Emilie stresse. Elle tente d'appeler sa
collègue pour un avis. Puis un ami gynéco. Quelqu'un confirme par téléphone
qu'il faut bien les sels biliaires mais que l'analyse prend 3 à 4 jours. D'ici
là, Romane sera née.
On la rassure à nouveau. Pas de jaunisse, pas de
démangeaisons actuelles, et le bébé est au top. On se calme !
Emilie n'en démord pas :
" - Non, je veux ces analyses aujourd'hui"
" - Ok, je te propose, tu fais la prise de sang,
je les apporte à l'hôpital et si les résultats ne sont pas bons, on
transfère".
" - D'accord, on fait comme ça, mais je suis pas
équipé pour les prélèvements."
On rappelle l'hôpital pour connaitre le type de
tube qu'il nous faut : - "Un avec le bouchon vert, hépariné" !
Pendant ce temps, le pré-travail s'est arrêté.
L'adrénaline à tendance à se transmettre rapidement. Mon petit coeur n'a plus
de contraction.
Je file chez le voisin demander si sa belle-soeur
infirmière peut nous dépanner d'un tube.
Pendant ce temps là, Emilie se calfeutre à
nouveau dans sa voiture pour passer des coups de fil.
Je bondis dans la mienne direction le domicile de
l'infirmière. Sympa, elle me donne le kit complet : de quoi piquer et une série
de tubes, dont le fameux à bouchon vert hépariné.
De retour au bout d'une vingtaine de minutes je
trouve Emilie et ma petite chérie dans le salon, assises face à face et l'air
grave. La tension est visiblement montée d'un cran durant mon absence.
Emilie ne gère plus son stress et part au tapis.
Elle nous indique d'abord qu'elle ne sent plus du tout cet accouchement à
domicile, que d'après sa déontologie elle n'a plus le droit de prescrire ces
analyses car elles sont "limite médico-légale" et qu'en plus elle n'est pas
assurée en cas de pépins.
Il est 19h, elle nous fait flipper depuis 15h! On
a proposé des solutions pour ces problèmes d'analyses, mais à chaque fois qu'on
solutionne un problème, son discours change. Donc voilà, elle nous abandonne et
nous annonce qu'elle n'est pas assurée : Ca y est, nous aussi on est dans le
stress. Mais qu'est ce que c'est toutes ces conneries ????
Je réalise que l'on vient juste de se faire
sortir de notre cocon à grand coup de pompe dans le cul !
Je ne cède pas à la panique, il faut absolument
que je reste solide pour ma belle.
Mais mon petit coeur, craque !! Fond en larme. Je
l'encourage, la rassure :
- "Ok, elle nous plante. On va aller à l'hosto.
Si c'est grave et que la suspicion est avérée alors on hospitalise, sinon
retour à la case départ. Allez on y va, plus vite parti, plus vite revenu."
Emilie rédige un note à l'attention de la
sage-femme de l'hôpital, et retourne diner chez ses amis. Elle nous laisse leur
numéro (elle n'a pas de chargeur de portable dans sa voiture) et nous on part,
direction la maternité.
Vers 20h30 nous arrivons à l'entrée de la
maternité. La sage-femme de garde est plutôt sympa, mais nous interroge un peu
sur ce qu'on fait là…
On lui raconte alors notre choix de
l'accouchement à domicile, que le pré-travail à commencé à 2h ce matin, qu'il
s'est arrêté vers 16h, et que surtout il y a suspicion de cholestase.
Elle monitor le bébé, prend la tension et fait le
prélèvement. Durant l'attente des résultats du labo, elle nous fait part de son
avis : A priori, il n'y a pas de soucis, les démangeaisons étaient sur les
seins et les pieds, mais pas sur les mains. Et puis, il n'y a pas de
jaunissement visible et à 2 jours du terme, c'est pas déconnant d'avoir un
léger dysfonctionnement hépatique d'autant qu'il y a eu un stress alimentaire…
Mais attendons plutôt les analyses.
Les analyses confirment qu'il n'y a rien
d'anormal si prés du terme. De toute façon les résultats des sels biliaire
arriveront après l'accouchement et en plus ça se prélève à jeun. Puisque notre
dossier était prêt dans cette maternité, elle nous propose d'accoucher ici,
mais ne voit aucune contre-indication à un accouchement à domicile.
La sage-femme appelle Emilie chez ses amis pour
lui donner son compte-rendu et lui annonce qu'elle nous libère pour accoucher à
la maison.
Non décidément l'hôpital n'est pas l'endroit où
l'on veut être, retour à la case départ, on prend congé direction la
maison.
Dans la voiture les contractions reprennent à un
rythme régulier et le doute s'installe.
Comment peut-on raisonnablement avoir encore
confiance dans une sage-femme qui ne gère pas son stress, qui se documente en
s'isolant avec son portable, qui semble ne pas maitriser son sujet et plus
grave à mon sens, qui se range au dernier avis reçu par téléphone.
On savait depuis le début qu'il n'y avait rien de
grave. Jusqu'à présent on était bien, tout se déroulait à merveille.
Pour moi la confiance est rompue, on ne peut plus
lui confier cette mission.
Elle n'a pas été claire sur l'assurance ; laisse
à penser qu'elle manque d'expérience; qu'est ce qui va se passer si ça tourne
mal pour de vrai ?
On convient qu'à notre arrivée à la maison on lui
proposera, si c'est possible, de demander à Marie de prendre le relais.
Emilie revient de chez ses amis en même temps que
nous arrivons à la maison. Je m'éclipse de façon à ce que la conversation
s'amorce entre filles. Au bout d'un moment je me rapproche. Emilie me dit
qu'elle reste, inutile d'appeler Marie, elle se sent de nouveau en confiance
sur cet accouchement. Nous plus vraiment. Ma belle est épuisée, je suis épuisé,
les contractions recommencent, je vais devoir m'occuper à nouveau de mon petit
coeur. Et puis si ça tourne mal, c'est pas grave, maintenant ils nous
connaissent à l'hôpital.
On rentre dans la chambre du bas, Emilie dort en
haut dans la notre.
Lundi 20 juin
Il est tard, la journée a été rude, on va essayer
de trouver un peu de sommeil entre deux contractions.
Le matin on s'est un peu reposé; on a dû dormir
2h maximum. Emilie est partie acheter un chargeur de mobile et porter les
prélèvements pour les analyses de sels biliaires faite à jeun sur prescription
de la Miss-sage-femme d'hier soir (nous apprendrons plus tard que la sage-femme
de garde est Miss de je-sais-plus-quoi).
Je masse régulièrement ma belle avec un mélange
d'huile d'amande douce et d'huile essentielle de lavande. Je la câline le plus
possible et lui pose une bouillotte à chaque contraction, ça semble bien la
soulager. On cherche des positions permettant de réduire la douleur : à quatre
pattes avec plein de coussins sur le ventre, assise les jambes tendues, mais la
meilleure semble être debout.
A midi ça fait tout de même 34h qu'on a démarré
l'aventure. On déjeune sous la pergola. Emilie revient de ses courses en début
d'après-midi. Un premier toucher annonce le col à 2cm. C'est clair, ça n'avance
pas vite.
Vers 15h les contractions se font plus
douloureuses. Je masse, je colle des bouillottes… La poche des eaux fuit. Elle
n'a pas cédée, il s'agit seulement de légères pertes. On s'installe dans
différents endroits de la maison. Contre le mur du couloir on décide de se
concentrer pour dire au bébé d'appuyer pour ouvrir le col. Si j'arrive à
visualiser mentalement le bébé, je n'arrive pas à communiquer avec. On est tous
fous : les contractions s'accélèrent. On sent que ça vient. Je la regarde : on
retrouve ce premier regard échangé il y a sept ans.
Il est 17h, c'est dur. Un autre toucher indique
que le col reste à deux. Rien ne vient. On ne comprend pas pourquoi c'est si
douloureux et pourquoi il ne se passe rien. La poche fuit toujours.
On se fout de savoir si les voisins vont entendre
les gémissements et on va se poser dans le jardin. Il fait chaud. Ca devient
encore plus dur, je me sens impuissant à atténuer la douleur malgré mes
caresses, les compresses, les massages.
Emilie part diner chez ses amis en attendant que
ça avance.
Toute la soirée il y a des contractions,
terriblement douloureuses, mais le col ne bouge pas, reste figé à la position
d'hier.
Mon petit coeur prends un bain. Elle dort 20mn.
Depuis environ 42h qu'on a commencé, il n'y a aucun progrès significatif. Nous
sommes tous les deux lessivés physiquement, essorés moralement.
De retour, Emilie sonde le col, il est toujours à
2cm, malgré cette journée de travail supplémentaire. Mon amour craque ! Elle ne
comprend pas pourquoi ça reste coincé au niveau du col alors que les
contractions la font horriblement souffrir.
Elle n'en peut plus, s'effondre en larme.
-"je veux qu'elle sorte de moi !" lance t-elle
avec ces tripes.
C'est le signal que là, les limites physiques et
morales ont été atteintes. Je lui propose de partir à l'hôpital car maintenant
c'est plus tenable.
Emilie nous alerte sur le fait que la poche est
perforée depuis le début d'après-midi et qu'elle va recevoir une injection
d'antibio. Elle nous conseille de dire qu'elle ça fuit seulement depuis une
heure.
Nous préparons un sac avec quelques vêtements,
des serviettes et les affaires de la petite et prenons la direction de
l'hôpital à deux voitures.
Nous arrivons vers 23h30, il fait nuit devant
l'entrée, seule les lumières de sécurité subsistent. Un homme nous attend, puis
s'avance vers nous :
- "Bonsoir, je suis Julien, et je suis la
sage-femme".
On savait que des hommes essayaient de conquérir
cette profession à 98% féminine mais on n'en n'avait jamais vu. Voilà donc un
spécimen. En même temps, nous ne sommes pas là pour faire de l'ethnologie, et
passons rapidement à autre chose.
On lui résume la situation. On est déjà venu hier
soir, et on n'a pas l'air comme ça, mais on n'est pas des beatniks.
L'homme-sage-femme propose une injection de morphine pour calmer la douleur en
espérant que ça fasse aussi tomber le stress afin que les contractions soient
efficaces.
Nous voilà dans une chambre, tuyauté, monitoré,
avec un petit fix qui se prépare. A peine injecté, la réaction est immédiate
:
- "Tu sais, ça fait bizarre… C'est comme si je
voyais dans une fenêtre d'erreur d'IPCOP. Tu sais, les bandes rouges autour,
quand tu fais une mauvaise règle."
Le produit semble sympa, mais il y en a juste
pour elle. On n'est pas des beatniks mais on est bien des geeks.
Malgré un gros mensonge, les antibios sont tout
de même injectés.
Emilie prend congé et rentre dormir chez
nous.
On se dit qu'on a bien fait de venir, que les
douleurs s'estompent et qu'on va essayer de dormir.
Je me colle contre elle et on essaye de dormir
dans ce petit lit.
Mardi 21 juin.
Il est trois heures environ lorsque
l'homme-sage-femme revient faire un tour pour voir comment ça avance.
Décidément, c'est un métier de patience.
C'est véritablement chiant le nombre de fois où
des gens en blouses bleues ou blanches, viennent vous emmerder dans la
chambre.
Ca fait près de 50h qu'on ne dort pas et y a
toujours quelqu'un pour venir voir un goutte à goutte, contrôler le monitoring,
ou faire encore un autre truc. L'hôpital semble sécurisant, mais pas du tout
paisible. Dans la brochure d'accueil, il est dit que les papas sont
merveilleusement traités, alors j'en profite pour demander un lit
d'appoint.
A 7h du matin, l'homme-sage-femme revient faire
le point avant de finir sa garde. Les contractions continuent, si tout va bien,
on posera une péridurale en début d'après-midi, si le col est à 3cm. Je file en
ville faire vite fait une reconnaissance préalable à l'état-civil (des fois que
je meurs entre maintenant et l'accouchement prévu cet après-midi).
A 14h, ça y est nous voilà en salle
d'accouchement. Elle est rose. Il y en avait une bleue, mais comme on a dit que
c'était une fille, ils ont pensé bien faire.
Je me fais sortir - "C'est le protocole" - durant
la péridurale par la sage-femme du moment. Tient, aujourd'hui c'est une femme.
Et elle est plutôt sympa. J'occupe le temps à faire des pitreries avec la
caméra de l'iphone. Il n'y a bientôt plus de douleur, c'est super cool.
On lui injecte du Syntocinon (c'est de
l'ocytocine de synthèse) afin d'accélérer la dilatation du col. Et puis aussi
un peu de Spasfon. On nous explique que les médecins trouvent que ça ne sert à
rien, mais les sages-femmes pensent l'inverse.
Il est maintenant 16h, et le col est à 6cm. On se
dit que ça progresse rudement bien. Hier on était à 1cm/48h, ça laissait
entrevoir une libération autour du 14 juillet et on trouvait ça un peu
lointain.
Si tout va bien et à ce rythme, à 19h on devrait
voir la tête de la petite Romane.
A 18h45 Christian, le futur parrain, passe
m'apporter un bout de quiche dont il est très fier, quelques sandwichs et trois
bricoles pour me changer. L'autre soir, j'ai pensé à tout sauf à moi. Dans le
SMS je lui demandais de me filer des trucs neutres, pas du type maillot du
Bayern de Munich. J'ai été exhaussé : me voilà avec un sweet orange des
Wallabies.
Il est 20h. Je croise l'homme-sage-femme en train
de fumer une cigarette avant sa garde de nuit. Je me souvient qu'il s'appelle
Julien et lui annonce que ça va être avec lui que ça va se passer. Le col est
presque à 10cm, mais Romane ne sort pas.
Dans l'après midi, la poche des eaux s'est rompue
lorsque sa collègue faisait un toucher pour mesurer le col.
Nous revenons ensemble en salle d'accouchement.
Mon petit coeur trouve que c'est un peu long maintenant.
Ce garçon est curieux et nous pose des questions
sur les motivations qui nous ont amené à un accouchement à domicile. Il évoque,
pelle-mêle, le risque pour l'enfant, le risque pour la mère, la distance par
rapport aux secours, etc. Il vend bien sa soupe le bougre. Parce qu'en plus
d'être curieux, il a aussi l'air d'être malin.
Du coup, comme de l'empathie se crée, on en
profite pour exposer nos demandes : pas d'aspiration, peau à peau dans les
premières secondes de vies, pas d'épisio, pas de section du cordon durant les
minutes où il bas encore…
Voilà notre sage-homme, reprenant une à une nos
demandes :
- "On laisse les tissus se déchirer mais jusqu'à
un certain point. Après il vaut mieux trancher. On n'est pas des excité du
bistouri, on ne coupe pas par plaisir. Le peau à peau on le pratique déjà; on a
vachement évolué".
Nous : -"On ne lavera pas le bébé de suite pour
le peau à peau ?"
Lui : -"et s'il est plein de sang, on vous le
pose dessus quand même ?"
Nous : -"heuuu… oui"
Lui : "- Vous savez, c'est pas pour me vanter,
mais vous avez de la chance d'être tombé sur moi. Certaines de mes collègues
ont des boutons dès qu'on leur parle de projet de naissance."
On lui laisse une chance de nous démontrer qu'on
a de la chance : Julien semble vouloir concilier nos demandes et ses exigences
professionnelles et/ou déontologiques. Il nous explique alors que oui, c'est
possible de ne pas passer de sonde dans les narines. Pour cela il suffit d'en
boucher une et de mettre un bout de verre devant le nez pour voir le souffle.
Bon point pour lui, il n'est pas obtus l'animal. En revanche, comme la poche
est rompue depuis de nombreuses heures, il veux faire un prélèvement dans
l'estomac, pour vérifier que des bactéries ne s'y soient pas développées. Il
nous rassure en montrant comment il va s'y prendre. On valide qu'on est
d'accord. Concernant le cordon, il fait partie de l'école de ceux qui pensent
qu'il peut y avoir échange sanguin entre le bébé et la placenta. On négocie
qu'on verra le moment voulu. On a bien compris qu'il était conciliant et ouvert
au dialogue, mais qu'il n'hésiterait pas à intervenir dès qu'il sentirait le
moindre danger.
Entre 21h et 23h, le bébé ne descend toujours pas
alors que tout va bien. Tout le temps monitoré, Romane n'est pas en
souffrance.
L'avantage d'un homme-sage-femme qui fume, c'est
que je peux faire le point assez régulièrement avec lui sans que mon petit
coeur n'entende nos conversations.
Nous voilà donc dehors, sur le banc clop au bec,
en train de voir quelles sont les pistes.
Il est 23h, on évoque maintenant la césarienne.
Je partage son avis : au bout d'un moment il faut que tout le monde aille
bien.
Je lui propose de voir si un changement de
position peut faciliter les choses. Il est OK, on repart en salle
d'accouchement pour tenter la chose. A minuit c'est l'échec : le bébé est
toujours contre le col et ne descend pas.
On comprend maintenant qu'il faut accélérer les
choses, sinon on va partir au bloc. On lui demande si on peut durant un moment
pratiquer l'haptonomie pour aider le bébé à bien se présenter.
C'est notre dernier espoir. Ca fait 70h que le
travail a commencé, on n'a plus d'autre solution. Julien, et Denise son
assistante, se retirent et nous laisse tous les deux dans la salle. On trouve
assez d'énergie pour se retourner, s'accroupir, respirer longuement, et entrer
en communication avec Romane. Ca fonctionne ! On est très excité, moi je la
sens bouger, mon petit coeur la sens pousser. On vis un moment d'une rare
intensité malgré tant de fatigue.
Mais toujours pas de tête…
Mercredi 22 juin
Il est une heure. Julien et Denise reviennent.
Malgré une heure d'hapto intensive Romane ne passe pas le col. Julien a attendu
tout ce qu'il pouvait mais il n'y a pas d'autre choix maintenant que de partir
au bloc pour une césarienne.
Mon amour remplie de désespoir fond en larme. ..
70h de travail pour finir en césarienne, c'est trop injuste. Denise la rassure
avec les mots qu'elle trouve. Julien évoque sa grande frustration de laisser la
place au chirurgien. Le calme et à la sérénité de l'hapto laisse la place à une
agitation impressionnante : L'anesthésiste de garde qui vient faire
l'injection, l'habillage stérile pour le bloc, les préparatifs autour du
ventre. Tout va très vite et on pleure. C'est une défaite immense face à toutes
les chances qu'on s'était données. On la transfert sur un charriot, direction
le bloc. Je n'y suis pas accepté. Je sors fumer une clope et pleurer. Une
immense tristesse me submerge, j'ai mal pour mon amour. Je la sais en détresse
et je ne peux rien faire. Putain quel échec.
Julien vient me retrouver sur le banc. J'essaye
de reprendre mon sang froid. Il m'annonce qu'il ne faut pas que je m'attende à
ce que nos demandes soient respectées avec l'équipe de chirurgie. Je me dit
qu'on a fait ce qu'on a pu. Maintenant qu'on est rentré dans un circuit
chirurgical, je ne vois pas bien de sens à toutes nos demandes. Ca fait déjà
longtemps que l'accouchement rêvé par mon petit coeur est bien loin. Je sais
qu'elle souhaitait réussir l'allaitement maternel et demande à Julien si la
césarienne risque de le mettre en péril. Il me rassure, ça fonctionnera
normalement.
Nous rentrons. Je croise un homme âgé, avec une
tête de gars qu'on vient de réveiller. Je suppute que c'est le chirurgien. Il
me lâche un "bonsoir" et continu son chemin. J'arrive dans une salle remplie de
couveuses dont une porte avec un hublot donne sur le bloc. J'aperçois mon petit
coeur avec un tissu bleu tendu à la verticale au dessus de son ventre. Ni elle
ni moi ne voyons le champ. C'est tant mieux.
J'aperçois juste les instruments sur une table en
inox sur la gauche.
Derrière moi, une pédiatre avec un fort accent
étranger me demande qu'est ce que c'est que ce projet de naissance. Je
synthétise très vite, je parle de nos demandes. Lui explique la technique de la
narine et de la plaque de verre. Elle me regarde bizarrement, et m'explique
qu'on aspire les bébés dans toutes les cultures du monde. Je suis résigné
devant tant de conneries. Je jette un coup d'oeil à Julien, qui visiblement
avait préparé le terrain avec elle. Il avait raison, elle ne veut rien
entendre. Je reviens au hublot. De l'autre côté mon petit coeur me dit avec ces
lèvres qu'elle m'aime. Elle pleure. Je l'aime.
Les secondes sont longues. Le vieux monsieur
maintenant habillé en chirurgien se contorsionne derrière le tissu bleu. Il
doit sûrement utiliser des écarteurs pour déplacer les abdos. Je ne suis pas
inquiet pour le bébé, jamais je ne pense pas que ça peut mal se passer.
Tout à coup un cri perce les murs.
Je ne m'y attendais plus. Romane est là, à côté,
vivante. Il est 2h12 ce mercredi matin.
Alors que j'aurais dû pleurer comme un veau, je
suis submergé par la tristesse, je n'arrive pas à être soulagé. Julien attrape
aussitôt la petite que lui tend le chirurgien par les pieds et vient la coller
contre la joue de sa mère en larme. Mon dieu que c'est douloureux.
Quelques secondes plus tard, il l'apporte dans la
salle où je me trouve pour que la pédiatre l'examine, puis l'aspire. Une main
généreuse couvre Romane d'un bonnet et lui rabat sur les yeux pour ne pas
l'aveugler par le spot au dessus.
Soudain je suis propulsé dans une mauvaise série
B. Alors qu'à ma gauche j'ai le petit bout dans la lumière et qu'à côté mon
amour a le ventre à l'air, Julien arrive avec le placenta. Il me montre
l'organe et le retourne. "Là c'est le côté contre la parois de l'utérus, là
c'est celle contre le ventre.. - En tout cas, il est beau, il n'y a pas de
soucis".
Est-ce que je vais tourner de l'oeil ou pas ?
Est-ce que je vais sortir de ce cauchemar ?
Ce petit gars aime son boulot, pour sûr.
Remettons-nous en selle, c'est pas encore fini.
Denise essuie la petite et repart au bloc pour la
remettre contre sa mère quelques secondes.
Quand elle revient, je lui prends des mains avant
que la pédiatre se recolle à ses affaires. Je crois entendre "C'est pas le
protocole". Je m'en fous, je viens de pondre une nouvelle RFC. Je ressens
l'immense besoin de la serrer contre moi, de la toucher, de la respirer. On me
propose un peau à peau dans une chaise. Je réclame un lit. Denise trouve une
salle d'accouchement et on me laisse avec elle sur le ventre, au chaud sous des
couvertures.
Les mêmes fringues depuis des heures, pas de
douche depuis 2 jours. Elle va bien la sentir l'odeur de son papa. Le stress de
l'expulsion sans traversée, le froid, la lumière, le bruit, Romane ne s'arrête
pas de pleurer. Et puis elle cherche mon sein. Elle grimpe. En deux coups de
pattes elle est dessus. Rapidement elle se rend compte de la supercherie et
reprend ses pleurs. Je suis obligé de la rassurer. " - On recoud maman, bientôt
tu sera avec elle."
Quinze minutes plus tard, on nous emmène en salle
de réveil. Romane est enfin posée sur les seins de sa maman.
Vers 3h nous remontons dans la chambre, et une
fois seuls, on pleure un bon coup.
Du jeudi 23 au dimanche 26 juin.
Mon petit coeur découvre la gastronomie
hospitalière. Etre césarisée induit quelques complications. Il faudra que l'on
reste au moins trois jours dans cette piaule. Je ne détaillerai pas ce qu'on
peut trouver à l'hôpital, c'est la copie conforme de la société. On a croisé
des gens extraordinaires. Une exception cependant pour une sage-femme d'une
cinquantaine bien tassée, du genre vieille peau revenue de tout, qui un soir
répondra bêtement à nos interrogations sur l'allaitement maternel par un
"Chacun fait comme il veut. J'ai lu votre dossier, je sais qui vous êtes."
Il n'y a bien que dans ma vie professionnelle où
j'ai rencontré pareille bêtise abyssale. On sait maintenant de qui parlait
Julien.
Le dimanche, alors que mon petit coeur et mon
petit bout de chou étaient assisses à l'arrière de l'automobile, une petite
voix me disait que quelque chose avait changé.
Aujourd'hui vendredi 1er juillet.
Il m'aura fallu seulement un recul de quelques
jours, pour que je puisse dire avec certitude que l'important pour nous n'est
plus où ni comment on donne naissance, mais avec qui.
Que soit grandement remerciés Damien, Rose et Corinne pour leur
écoute.